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Photo du rédacteurSophie Daniellou

Hyperconnexion : L’école, premier lieu de prévention des risques psychosociaux

Ce matin encore, je suis tombée sur un article dans Les Échos qui s’interrogeait sur la hausse de l’hyperconnexion, un phénomène en forte progression ces dernières années. Il remettait en question l’efficacité de la loi sur le droit à la déconnexion, une initiative censée protéger les employés des excès liés aux outils numériques. Pourtant, pour moi, cette montée en flèche n’a rien de surprenant.

Pourquoi ? Parce que dès le plus jeune âge, nous préparons nos enfants à cette hyperconnexion. Non, pas dans les entreprises. Dans les écoles.



Un entraînement précoce à l’hyperconnexion

Mère de trois enfants scolarisés au collège, au lycée et à l’université, je le vis au quotidien. L’école, lieu d’apprentissage et de préparation à la vie adulte, met déjà en place des mécanismes qui encouragent des habitudes néfastes. Nos enfants sont obligés de se connecter quotidiennement à des plateformes numériques pour accéder à leurs devoirs, leurs messages ou les dernières annonces de l’école. Le cadre éducatif semble aujourd’hui inséparable de ces environnements numériques, plaçant les élèves dans une dynamique de disponibilité permanente.

Cette pression numérique se reflète dans des chiffres inquiétants. Une étude menée par l’Institut Français d'Opinion Publique (IFOP) en 2023 révèle que 68 % des enfants scolarisés en France utilisent régulièrement des outils numériques pour leurs devoirs, avec 45 % d’entre eux se sentant obligés de les consulter en dehors des heures d’école, y compris le week-end. Cette disponibilité permanente ne s’arrête pas à l’école, elle empiète directement sur la vie personnelle et familiale, créant une confusion entre le temps scolaire et le temps libre.

Prenons un exemple qui, pour les parents d’enfants scolarisés, n’est que trop familier. Il est dimanche après-midi, 15h, un nouveau devoir apparaît sur la plateforme numérique. Quasiment aussitôt, les messages WhatsApp commencent à affluer entre les élèves. Des dizaines de notifications perturbent la journée familiale, générant stress et urgence. Si le message est incomplet ou s’il prête à confusion, c’est l’angoisse qui monte en flèche. Et soudain, le week-end devient une prolongation de la semaine scolaire, coupant court à tout moment de déconnexion.

Et cela ne se limite pas aux élèves. En tant que parent, qui n’a jamais reçu un email le dimanche matin, avec pour objet « URGENT : Rappel pour le pique-nique de jeudi » ? Une notification anodine peut générer un pic d’adrénaline disproportionné, pour finalement découvrir qu’il s’agit d’un rappel banal, mais rédigé dans un ton qui force à l’action immédiate.


Une génération entraînée à ne jamais déconnecter

Il est inquiétant de voir à quel point l’école, par ses pratiques, entraîne nos enfants à être disponibles 24h/24, 7 jours sur 7. Alors que le droit à la déconnexion fait l’objet de discussions au niveau des entreprises, les habitudes de surconnexion sont inculquées dès l’enfance. Chaque devoir posté à la dernière minute, chaque message d’urgence non urgent habitue nos enfants à un rythme où la séparation entre le temps de travail et le temps personnel devient floue.

En 2022, une étude de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a montré que l’hyperconnexion numérique chez les jeunes avait un impact direct sur leur santé mentale, contribuant à une hausse de 28 % des symptômes d’anxiété et de dépression chez les adolescents. Ces jeunes, habitués à être connectés en permanence, développent une difficulté à dissocier leur vie personnelle de leurs obligations scolaires, ce qui les prépare mal au monde du travail.

Comment, dans ces conditions, espérer que nos enfants grandissent avec une compréhension saine de la déconnexion ? Comment les préparer à entrer dans le monde de l’entreprise si, dès l’âge de 11 ans, ils apprennent à répondre à des messages en dehors des horaires scolaires, à traiter des informations urgentes (ou supposées urgentes) à toute heure du jour et de la nuit ?

Les dirigeants qui, aujourd’hui, traitent leurs emails professionnels le week-end, le faisaient déjà sans le savoir à 11 ou 12 ans. Selon une étude réalisée par OpinionWay en 2023, 52 % des cadres avouent lire et traiter leurs mails en dehors des horaires de travail, notamment les soirs et les week-ends. Ils ont été formés à cette surdisponibilité bien avant d’entrer dans le monde de l’entreprise.


L’école : premier lieu de prévention des risques psychosociaux

J’ai alerté plusieurs fois les associations de parents d’élèves et les directions d’établissements sur ces pratiques. Je leur ai rappelé leur rôle essentiel dans l’éducation à une utilisation saine et mesurée des outils numériques. Former nos enfants à savoir se déconnecter est une mission aussi importante que l’enseignement des mathématiques ou des sciences. Le droit à la déconnexion ne devrait pas être une leçon apprise à 25 ans, après un burn-out. Elle doit commencer dès l’école.

Une étude de la Fondation Jean Jaurès en 2021 a révélé que 64 % des salariés souffrent de troubles liés à la surconnexion, tels que l’épuisement professionnel, l’anxiété et le stress chronique. Ces troubles, souvent évoqués dans le cadre professionnel, prennent racine bien plus tôt dans la scolarité, où les outils numériques, mal encadrés, habituent les élèves à une disponibilité constante. Ce cycle ne fait que se prolonger une fois qu’ils entrent sur le marché du travail.

Malheureusement, mes alertes sont restées sans réponse. Ce silence est révélateur : ni l’institution scolaire ni les parents ne semblent réellement prendre conscience de la portée des dégâts que nous sommes en train de causer.


Une solution à la racine du problème

Il est temps que nous repensions la place du numérique dans le cadre éducatif. Non pas pour l’abolir, car il est indéniable que les outils numériques apportent des bénéfices immenses, mais pour en encadrer l’usage. L’école doit devenir un modèle de bonne pratique en matière de déconnexion. Si nous voulons former des adultes capables de gérer leur temps, d’établir des limites claires entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle, nous devons commencer par inculquer ces valeurs dès l’enfance.

L’urgence est là. Nous voyons déjà les chiffres alarmants sur la santé mentale des dirigeants, des employés, et même des étudiants. La même étude de OpinionWay montre que 78 % des salariés en télétravail peinent à se déconnecter en fin de journée, et ce phénomène est directement lié aux habitudes numériques acquises dès l’enfance.

Il est impératif de prendre conscience de l’enjeu. Enseigner le droit à la déconnexion à nos enfants, c’est les préparer à un avenir où ils pourront gérer les contraintes du monde professionnel sans se perdre eux-mêmes. Ne laissons pas nos élèves devenir les futurs employés surconnectés, anxieux et épuisés avant même d’avoir commencé leur carrière.

Le changement doit venir d'en haut, mais il commence avec chacun de nous, parents, enseignants, et institutions.

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